La domination des conservateurs aux prochaines élections iraniennes (2/2)
À la suite du décès du président iranien Ebrahim Raissi dans un crash d’hélicoptère le 19 mai 2024, des élections présidentielles anticipées se tiendront le 28 juin. Le 9 juin dernier, la liste définitive des candidats admis aux élections a été rendue publique. L’élimination d’Ali Larijani, considéré comme un réformateur a surpris certains observateurs. La campagne électorale en cours est l’occasion de revenir sur le contexte électoral iranien avec des électeurs désenchantés face à une domination des candidats conservateurs.
Pas de retour triomphal pour l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad
Parmi les candidats exclus de la course à la présidentielle, deux personnalités méritent une attention particulière. La première est Mahmoud Ahmadinejad. Ancien président de 2005 à 2013, M. Ahmadinejad est une figure controversée en Iran qui avait terminé son mandat en froid avec le Guide suprême et l’establishment politique en lien avec des divergences sur les nominations de ministres et hauts-gradés militaires. Durant son mandat présidentiel, il avait gagné le soutien d’une partie du peuple iranien avec des slogans tels que « justice, compassion, équité et intégrité » et avait distribué des aides financières en argent comptant ainsi que des subventions. En termes de politique étrangère, Ahmadinejad avait poursuivi une politique jusqu’au-boutiste affichant une position intransigeante à l’égard des pays occidentaux sur les questions relatives au nucléaire et à la défense de l’Iran. M. Ahmadinejad est actuellement membre du Conseil de discernement, un organe constitutionnel ayant pour fonction de résoudre les différends entre le Parlement et le Conseil des gardiens. M. Ahmadinejad est actuellement vu comme un populiste menaçant l’influence des conservateurs sur les institutions iraniennes.
L’exclusion d’un conservateur devenu « modéré »
Ali Ardashir Larijani, ancien président du Parlement (2008-2020), est parfois qualifié de « modéré » mais il s’agit plutôt d’un conservateur pragmatique. En 2021, M. Larijani avait été exclu de la liste des candidats et Ebrahim Raissi avait emporté les élections présidentielles lors d’un scrutin qui avait vu la disqualification massive des candidats modérés et réformateurs. Cela avait abouti au plus faible taux de participation enregistré lors d’une élection présidentielle iranienne.
M. Larijani a débuté sa carrière politique en 1980 en tant que membre civil des Gardiens de la Révolution. Le Guide suprême le nomma président du radiodiffuseur d’État en 1994. Pendant les dix années de son mandat, la programmation de la télévision d’État était critiquée pour ses attaques répétées contre les réformateurs, les intellectuels et les nationalistes. À ce titre, M. Larijani avait déclaré en 2021 qu’il regrettait d’avoir diffusé des émissions controversées et affirmait qu’il n’avait joué aucun rôle dans leur production. Les mémoires de l’ancien président Rafsanjani (1989-1997) suggèrent que d’importantes pressions furent exercées par les partisans de la ligne dure au cours de ces années donnant un certain crédit aux déclarations de M. Larijani.
L’ayatollah Khamenei nomma ensuite M. Larijani secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale (2005-2007). À ce titre, il critiqua les réformateurs pour leur échec dans les négociations avec l’Occident sur le programme nucléaire iranien. Il préconisait des liens plus étroits avec la Russie et la Chine. Dans le même temps, M. Larijani encourageait le Guide à approuver les négociations avec les États-Unis en vue d’un accord global. C’est au cours de ces années qu’il se distingua des autres partisans de la ligne dure. En 2008, M. Larijani fut élu au Parlement et en fut président pendant 12 ans.
L’entrée d’Ali Larijani dans la course à la présidence
En 2021, M. Larijani se lança dans la course à la présidence. Son soutien à l’accord nucléaire conclu sous l’administration de Hassan Rouhani en 2015 aurait conduit à sa disqualification par le Conseil des Gardiens lors des élections présidentielles de 2021. Cette décision choqua la nation mais renforça la popularité de M. Larijani chez les réformateurs et améliorera son image auprès du public. Suite à sa disqualification en 2021, l’ayatollah Khamenei avait déclaré que « certaines personnes n’ayant pas été admises à se présenter aux élections ont été confrontées à de fausses accusations qui ont été attribuées à elles ou à leur famille, qui étaient respectables et chastes, et ces rapports se sont avérés faux par la suite ». L’ayatollah avait alors appelé le Conseil des gardiens à réparer cette « injustice ». Plusieurs motifs furent alors mis en avant pour expliquer sa disqualification en 2021 : contribution au déclin économique du pays sous la présidence de M. Rouhani, abus de pouvoir lors de son mandat parlementaire, liens forts de certains membres de sa famille avec l’Occident, témoignage forcé de son médecin attestant que M. Larijani souffrait d’une tumeur… Certaines de ces accusations furent démenties.
Si les candidats exclus il y a quelques jours ne peuvent faire appel de leur disqualification, M. Larijani a semblé laisser entendre qu’il avait consulté l’ayatollah Khamenei avant de se présenter aux élections. M. Larijani aurait envoyé une lettre au Guide suprême lui demandant de vérifier si les raisons invoquées par le Conseil des gardiens pour le disqualifier en 2021 étaient valables. L’ayatollah a ainsi ordonné au juge en chef Gholamhossein Mohseni-Ejei d’enquêter sur la question. Le juge convoqua M. Larijani et son fils pour enquêter sur une ancienne affaire d’abus de pouvoir et les magistrats auraient disculpé M. Larijani et son fils des allégations formulées par le Conseil des gardiens en 2021. Fort d’une exonération apparente, M. Larijani aurait semblé penser qu’il n’y avait plus de prétexte pour que sa candidature soit rejetée. En fin de compte, il s’agissait d’un pari car M. Larijani a décidé d’aller de l’avant sans le feu vert de l’ayatollah.
Une participation électorale au plus bas niveau face aux conservateurs
Les élections présidentielles de 2024 arrivent dans un contexte de faible participation électorale. En effet, les élections présidentielles de 2021 avaient vu le plus faible taux de participation (48 %) aux élections depuis la fondation de la République islamique d’Iran en 1979. Les élections parlementaires au printemps 2024 ont vu des taux de participation de 41 % et 34 % aux premier et second tour respectivement. De plus, les élections anticipées du 28 juin conduiront à la synchronisation annuelle des élections présidentielles iranienne et américaine.
La disqualification par le Conseil des gardiens de la plupart des candidats réformateurs lors des scrutins nationaux depuis 2020 a conduit à un monopole des conservateurs sur le pouvoir. Toutefois, au lieu de conduire à la stabilité politique, les récentes élections législatives de mars 2024 ont vu s’affronter des conservateurs divisés en factions.
Dans le contexte de la campagne électorale actuelle, les réformateurs sont confrontés à une bataille ardue contre les conservateurs iraniens. Le camp réformateur doit également faire face à la pression de l’opposition en exil et de certains médias étrangers en langue persane. Certains dissidents affirment que les réformateurs ne cherchent pas à gagner les élections, mais plutôt à augmenter le taux de participation pour assurer la survie de la République islamique.
Il est à noter que toutes les femmes qui se sont présentées aux élections ont vu leur candidature rejetée par le Conseil des gardiens. La procédure de vérification du Conseil des gardiens est souvent qualifiée d’opaque et manquant de transparence. Le Conseil coordonne ses travaux avec le bureau du Guide suprême à tel point que les commentateurs iraniens parlent de « téléguidage » des élections visant à obtenir des résultats précis.
Les prochains défis du futur président iranien
Le rôle du président en Iran peut se résumer aux attributions suivantes. Il est élu au suffrage universel direct à la suite de son approbation par le Conseil des gardiens. Il donne le la en matière de politiques intérieure et surtout économique. Le président donne son avis sur la politique étrangère au sein du Conseil suprême de sécurité nationale, aux côtés notamment de députés, de membres des Gardiens de la Révolution et de membres du bureau du Guide suprême.
Le prochain président devra affronter plusieurs défis et ces sujets seront probablement abordés lors des débats télévisés dans le cadre des campagnes électorales. Il s’agit notamment de l’économie iranienne en ruines, les sanctions américaines liées au nucléaire mais éventuellement la question du voile islamique et les libertés informatiques.